Poète, psychologue, auteur du recueil de poèmes en créole Retay Mo publié chez une maison d’édition créolophone, Darly Renois est un jeune écrivain engagé qui croit fermement en une littérature créole à promouvoir comme vecteur essentiel de l’identité culturelle haïtienne. Dans cette interview exclusive accordée à Publishers & Books, il partage son expérience d’auteur, sa vision du secteur éditorial en Haïti, et ses projets littéraires.
Publishers & Books : Bonjour Darly Renois. Quelle est votre opinion sur la poésie créole en Haïti aujourd’hui ?
Darly Renois : Quand on parle de poésie créole, une kyrielle de noms me vient en tête. Je pense notamment à des figures majeures qui ont profondément marqué ce champ littéraire. Si je devais n’en citer qu’un, ce serait Georges Castera, véritable monument de la poésie d’expression créole en Haïti. Des titres comme Jòf, Konbelann, ou Tanbou Kreyòl témoignent de son apport considérable.
Dans ma génération, des poètes tels qu’Anivince Jean-Baptiste (cofondateur du Regroupman Ekriven Kreyòl – REK), André Fouad et bien d’autres, œuvrent pour que la poésie créole prenne de l’ampleur.
Il existe aujourd’hui des maisons d’édition spécialisées dans la publication en créole, notamment aux Gonaïves. De plus, la création de l’Académie du Créole Haïtien a largement contribué à redynamiser l’usage littéraire de la langue. On voit également la poésie créole s’imposer peu à peu dans le répertoire des lecteurs à travers la Caraïbe.
Des festivals comme Pawoli, Livres en folie, Festival Liv Kafou, ou Livres en liberté montrent bien la vitalité de cette poésie, régulièrement représentée dans ces espaces.
Qu’est-ce qu’« écrire » représente pour vous ?
Écrire, c’est un acte de survie et d’affirmation. Se faire éditer en Haïti aujourd’hui n’est pas simple. Le premier pas peut sembler difficile, mais lorsqu’un texte est de qualité, l’auteur finit par s’imposer. Cela dit, la réalité du secteur éditorial est encore complexe.
Avant de publier Retay Mo, j’ai identifié des maisons d’édition dont la ligne éditoriale était cohérente avec mon projet. J’ai connu des refus, des silences, jusqu’à ce que le poète Manno Ejèn me recommande une maison basée aux Gonaïves.
Mais même après publication, les obstacles subsistent : plusieurs éditeurs ne respectent pas leurs engagements. À mon avis, c’est un secteur en développement qui nécessite une vraie structuration. Il nous faut plus de professionnels formés, plus de rigueur, plus de transparence.
Il y a, bien sûr, quelques bonnes maisons d’édition en Haïti, mais elles sont rares. Trop souvent, les manuscrits sont publiés tels quels, sans relecture ni correction. La promotion du livre est souvent absente. Voilà pourquoi beaucoup d’auteurs cherchent à publier ailleurs. On assiste à une prolifération de maisons d’édition dites Foknanpwen (sans refus), comme le dirait Lyonel Trouillot.
Pourquoi est-il important, selon vous, de produire en créole dans la Caraïbe ?
C’est une question essentielle. Nous, peuples caribéens, partageons une histoire commune, des valeurs, une mémoire, une langue. Le créole est un lien puissant.
Publier en créole, c’est refuser l’oubli, c’est affirmer une identité. C’est aussi préserver un patrimoine linguistique qui unit. Si nous voulons maintenir une Caraïbe forte, unifiée et en dialogue, alors il est crucial de continuer à créer dans nos langues.
Quel est votre regard sur l’émergence du livre numérique (e-book) ?
C’est une opportunité formidable, malheureusement encore très peu exploitée en Haïti. Le numérique permettrait aux écrivains haïtiens de toucher un lectorat international.
Les maisons d’édition devraient investir sérieusement dans la production et la diffusion de livres numériques. Cela faciliterait la circulation des œuvres et la découverte de nos écrivains dans le monde entier.
Quels sont vos projets d’écriture après Retay Mo ?
J’ai plusieurs projets en cours. L’un de mes objectifs prioritaires est de finaliser un recueil de nouvelles intitulé Vivan Kòlè Moun Fou. Il s’agit d’une critique sociale et politique, un regard acerbe sur nos dirigeants, souvent déconnectés du peuple et de l’histoire d’Haïti.
Je travaille aussi sur Batistè Lavi, un texte qui explore nos pratiques quotidiennes. Par ailleurs, deux textes en français sont en cours : Face anonyme et Silence étouffé, qui dressent un tableau poignant du destin de notre chère Haïti, marquée par tant de souffrances.
Votre pays traverse de nombreuses crises sociopolitiques. Quelles conséquences sur l’industrie du livre ?
La crise affecte tout : la production, la distribution, la lecture. Beaucoup d’auteurs, de librairies, de maisons d’édition sont à bout de souffle. Pourtant, le livre reste un outil de résistance, un espace de liberté.
Je continue à croire qu’écrire et publier en ces temps difficiles est une manière de dire non à l’effacement, de défendre la beauté et la pensée. C’est un acte politique.
Pour conclure : quels poètes créolophones vous ont le plus inspiré ?
Je leur dois beaucoup. Parmi eux : Georges Castera, Syto Cavé, Joseph Josaphat Large, Inéma Jeudi, Manno Ejèn, Iléus Papillon… J’ai creusé leurs mots comme on creuse le silence. Même dans le vide, leur poésie m’a nourri.
Écrit par : Marc Ricot Sony
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