[FR] Haïti : Conversation avec Yanick Lahens, prix Femina 2014

Publishers & Books : Que représente l’écriture pour vous ?
Yanick Lahens : L’écriture est une activité qui me sauve chaque jour en Haïti. C’est l’une de mes plus grandes parades contre tout ce qui fait obstacle dans ma vie.

Pourriez-vous nous raconter comment vous avez commencé à écrire ?
J’ai commencé à écrire assez tard, à quarante ans. Je suis une « tard venue » à l’écriture, et je ne regrette pas du tout d’avoir pris mon temps.

En 2014, vous avez reçu le prix Femina pour votre roman Bain de lune, salué par une floraison de critiques élogieuses. Pourquoi avez-vous écrit ce livre et quelles en ont été vos sources d’inspiration ?
Bain de lune est un livre qui me trottait dans la tête depuis longtemps… une quinzaine d’années. J’avais d’abord écrit une nouvelle du même nom dans le recueil La Petite Corruption, publié en 1999. Et depuis, je voulais aller plus loin. J’étais restée sur ma faim.
Mes sources d’inspiration sont mes interrogations, mes obsessions sur ce qui m’entoure : les gens, Haïti, le monde, et ma place là-dedans. Et comment je me débrouille avec l’écriture pour dire tout cela ? J’avais jusque-là surtout écrit sur Port-au-Prince. Je voulais passer à un roman de la terre, pour rassembler mes questionnements dans un ensemble qui embrasse l’histoire, la spiritualité, la politique, etc.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui aimeraient devenir écrivains ?
À ceux qui veulent écrire, je conseille de lire. Encore et encore. Lire pour le plaisir, pour la connaissance et pour l’apprentissage.

Quels sont les écrivains africains que vous aimez particulièrement ?
Il y a des noms que je retiens : Kourouma, Khane, Sembène Ousmane, Sony Labou Tansi, Ken Bugul, Mariama Bâ…

Que pensez-vous de cette citation de François Mitterrand : « Que serait la francophonie si personne ne parlait français ? »
La francophonie est une construction politique, un instrument de négociation pour la France et certains pays francophones.
Nous, en Haïti, nous nous sommes approprié le français depuis la fin du XVIIIe siècle, donc bien avant l’invention du concept de francophonie. Nous avons continué à faire usage de la langue française et des éléments de la culture française jusqu’à aujourd’hui, sans grande intervention de la Francophonie.

Le Collège de France a annoncé la création d’une chaire « Mondes francophones » afin de faire « entendre les voix riches et multiples qui œuvrent dans les pays francophones ». Vous en êtes la première titulaire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
C’est exactement dans cette perspective que j’entrevois ces cours au Collège de France, qui a très justement intitulé la chaire « Mondes francophones ».
Cela ouvre un espace de discussion beaucoup plus libre. Et cela permet aussi de décentrer la question en l’envisageant non plus à partir du centre – donc de la France – mais des pays qui ont été mis en contact avec elle par la colonisation.
Si l’on parle de mondes francophones, alors il faut parler de savoirs partagés. C’est la seule manière pour que ce mot francophone ait un sens. Il est encore très loin d’avoir couvert toute l’étendue de ses significations, et donc de ses potentialités.

Y a-t-il un auteur qui vous a particulièrement inspirée ou donné l’envie d’écrire ?
Incontestablement, c’est la romancière haïtienne Marie Chauvet qui m’a le plus influencée et m’a portée à faire le saut.

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Par Ricot MARC SONY.