[FR] Géopolitique du livre africain francophone (1950-1980) – première partie

Dans une série d’articles, je souhaite évoquer le rôle des opérateurs institutionnels, politiques et philanthropiques dans l’économie du livre africain. J’y proposerai des clés d’interprétation de la période contemporaine à partir des mouvements éditoriaux survenus dans l’après-guerre (1939-1945). Mon objectif est ici de déplacer le regard et l’analyse, des textes et nouveautés littéraires, vers un prisme géopolitique qui, jusqu’à aujourd’hui, influence fondamentalement les dynamiques littéraires africaines. L’enjeu central de cette réflexion est d’explorer ces zones oubliées de la mémoire du livre africain, où des acteurs aujourd’hui effacés ont pourtant joué un rôle décisif dans l’organisation d’un marché du livre francophone, marché dont l’institution centrale ne pouvait représenter un contre-pouvoir.

Avant toute chose, je voudrais interroger l’idée même du « livre africain » à l’aune du centralisme éditorial français sur le marché des littératures francophones. Il me paraît ainsi pertinent de rappeler les liens existants entre l’évolution du marché français et les enjeux du corpus des littératures africaines, qui voient les auteurs africains francophones accéder massivement à l’édition française à partir des années 1950, jusqu’à ce que, après maints hauts et bas, nombre d’entre eux atteignent une forme de « starification ». La question que je pose ici concerne également la double ambiguïté d’un corpus littéraire publié en France : d’une part, les plus grands succès littéraires « africains » restent aujourd’hui encore des succès modestes comparés aux best-sellers du marché français ; d’autre part, cette littérature africaine éditée en France s’inscrit dans un contexte de capitalisation croissante de l’économie du livre, observée en France depuis les années 1980. Je souligne ainsi la zone grise des littératures revendiquant un « décentrement intellectuel » (postcolonial, francophone, « Tout-Monde », etc.), formalisée au sein d’une économie du livre francophone restée largement centralisée en France.